RETROUVER LE SENS DE LA BIENVEILLANCE

18/03/2021

Un Éducateur Spécialisé raconte

Philippe * nous apporte son analyse et son regard sur l'importance du métier d'éducateur spécialisé. Je le remercie vivement d'avoir accepté de raconter son parcours très riche et sa passion pour ce métier qui demande un fort engagement.


Après de bonnes études en agronomie, j'ai travaillé un an dans ce secteur, puis j'ai exercé dans différents secteurs du tertiaire.
Je ne me trouvais pas à ma place. J'ai fait du bénévolat avec des personnes handicapées physiques et mentales.
Ensuite, j'ai été accompagnateur de détenus.
Ces deux activités m'ont permis de me décider à suivre une formation d'Éducateur Spécialisé. A l'époque il existait une formation par la pratique, on travaillait et on allait une semaine à l'école.
Au tout départ, j'ai exercé dans un centre de rééducation pour adolescents délinquants. Il était situé dans une grande maison bourgeoise qui possédait des cellules dans son sous-sol. Il s'agissait en fait d'un ancien centre de correction.
Une anecdote : lorsque je suis arrivé le premier jour pour travailler les éducateurs techniques voulaient passer à tabac un ado et le tondre...
Je fus sidéré et me demandait ce que je faisais là. Première image déroutante, mon idéal en prenait pour son grade.
Ensuite, j'ai travaillé dans un IME, institution recevant des enfants en difficultés scolaires et d'autres à la limite de la délinquance. Cette institution était tenue par des religieuses. L'ambiance était à l'hygiénisme et quelque peu obsessionnelle.
Puis, j'ai exercé dans un club de prévention.
Ensuite, j'ai pris un grand virage, en postulant en psychiatrie du fait que j'avais le sentiment, l'intuition que la parole n'était pas assez utilisée ni de manière correcte.
J'ai alors exercé dans des Centres médico-psychologiques pour enfants et adolescents.
J'ai essentiellement travaillé avec des enfants autistes et des adolescents prédélinquants, puis je suis parti exercer à l'antenne toxicomanie de la prison de la Santé. Regards saisissants et tristes de toutes ces personnes chutant du fait de leurs addictions.
Des psychanalystes disent que ces jeunes mineurs ou adultes doivent être arrêtés. Première étape d'un cadre qui se remet en place. Et je suis d'accord avec le Garde des Sceaux, Monsieur Dupond-Moretti qui dit qu'il faut toujours de l'éducatif.
Bien sûr, le fait d'être baigné dans ce milieu m'a donné l'envie d'en connaitre plus. Du coup, j'ai décidé de faire une analyse psychanalytique qui a duré 11 ans. J'en avais besoin, sinon ça ne marche pas.
Mais qu'elle ouverture ! Quel confort de vie !

Dans tous ces lieux, mes missions ont été sensiblement les mêmes : aider l'Autre à se respecter et à s'aimer. Comment ? En tenant sa parole et en trouvant les mots sur ce qui débordait et surtout verbaliser sur la Limite et la Souffrance.

D'après vous, quelle image ont les éducateurs spécialisés auprès de ces publics ?

Je pense que l'image n'a pas été affectée car pour tous, il me semble que le transfert se passait bien et a été assez puissant. Le transfert est ce quelque chose qui se passe dans la relation. Je parle pour moi bien entendu. 

Pensez-vous que votre quotidien professionnel a changé ?

Mon quotidien n'a guère changé car si l'on tient son attitude, c'est à dire, une position de Père Symbolique, on ne perçoit que très peu de changement. À part peut-être que cette fonction est en train de perdre son importance au niveau de la société. Ce qui est grave et ce qui explique en partie les douloureux faits divers de ces derniers temps. 

D'après votre grande expérience, quelles idées simples à mettre en œuvre pourraient améliorer la qualité et l'impact de vos missions ?

Il faut tout d'abord que chaque partenaire aille dans le même sens et qu'il y ait plus d'échanges entre eux.
Cela nécessite une volonté politique proposant des moyens pour des actions dirigées vers ces publics.
Il faut également faire émerger plus de compétences chez les professionnels. 

Comment envisagez-vous l'avenir de votre profession ?

Pendant toute ma carrière, je me suis mis dans une position de chercheur. Je pense que l'on sera obligé de remettre des éducateurs de prévention. Cela permettra de recouvrer une fonction paternelle pour tous les jeunes en attente de regards bienveillants portés sur eux.

* prénom d'emprunt

 Aider l'Autre à se respecter et à s'aimer. Comment ? En tenant sa parole et en trouvant les mots sur ce qui débordait et surtout verbaliser sur la Limite et la Souffrance.