ESTELLE M., EXPERTE-COMPTABLE

Des Chiffres et (trop) de lettres

Afin de publier des « instantanés » de la vie des français, j'interview des concitoyens venant de divers horizons professionnels et sociaux. C'est dans ses réponses que prendra racine mon programme pour la présidentielle de 2022.

Je me suis dit qu'il était intéressant d'interviewer une Experte-Comptable qui, par sa profession, est en prise direct avec des petites entreprises comme la mienne. Son constat est édifiant.

Estelle M., Experte-Comptable.

Je dirige un Cabinet d'Expertise-Comptable tourné vers le conseil et la gestion de petites entreprises.

Je me définis comme un cabinet « au ras des pâquerettes », je veux dire par là que je travaille des petites structures qui forment 90 % des entreprises.

Badred'hine Bouacha : Quels sont pour vous les conséquences de cette crise ?

Sur le plan professionnel la crise a changé énormément de choses :

• Un surplus de travail pour aider les entreprises à rechercher les aides dont elles peuvent bénéficier et, bien entendu, comment les obtenir.
• Beaucoup de services difficilement chiffrables et facturables : par exemple, les dossiers de chômage partiel sont très longs à gérer.
• Un surcroit de responsabilité : quelle peut être la mise en cause par nos clients si nous avons omis l'obtention d'une aide car celles-ci fusent dans tous les sens et ne sont pas coordonnées.

Sur le plan économique la majorité des petites structures sont des malades sous perfusion mais beaucoup ont entassé des retards de loyer notamment, de remboursement de prêts : ceux du PGE, mais aussi ceux accordés auparavant. Les gérants et les entreprises individuelles n'ont pas bénéficié d'aide style « chômage partiel » et la vie est devenue difficile pour eux.

Je crains donc que lors de la reprise et de l'arrêt de ces aides, il y ait beaucoup d'arrêt d'activité. Sans parler de la lassitude, du ras-le-bol et du pessimisme qui se sont installés.

Badred'hine Bouacha : Quelles difficultés rencontrez-vous dans votre métier ?

Je pense tout de suite au manque de liberté.

• Après 18 h nous avons le droit de travailler mais pas de recevoir des clients !
• L'obligation du télétravail gène beaucoup : il reste dans la vie courante beaucoup de documents papiers. Les emmener chez le collaborateur fait courir un risque de perte.
• Les scanner pour les traiter à distance fait perdre du temps, la surveillance des travaux par l'Expert ou le Responsable est devenue plus lourde.
• Enfin le travail en équipe semblait devenir la règle, mais l'éloignement semble détruire cette position.

Bien entendu, nous avons les outils : les systèmes informatiques permettent un accès aux données à distance. Mais la question était « vos clients ont-ils les outils pour fournir correctement les informations » et la réponse est plus nuancée !

Badred'hine Bouacha : quelles sont les améliorations possibles pour rendre plus efficace vos missions ?

• Avoir des interlocuteurs au téléphone ! Car il n'y a plus de possibilité de s'expliquer avec quelqu'un ou après une attente longue on nous informe « que tous les conseillers sont occupés » ! Ou bien il faut prendre rendez-vous pour avoir une communication téléphonique et dans la majorité des cas les rendez-vous n'existent plus.
• Supprimer un certain nombre de documents : on croule sous les papiers, les questionnaires !

J'estime que depuis que je suis en exercice, c'est-à-dire environ 30 ans, j'ai rempli un document de plus chaque année !

Je remercie cette professionnelle pour ses réponses détaillées. Sa dernière phrase résume parfaitement ce que ressentent de très nombreux petits entrepreneurs à propos des lourdeurs administratives. Et je pense que la grande majorité des Français doivent également se reconnaître en cette sentence.

J'estime que depuis que je suis en exercice, c'est-à-dire environ 30 ans, j'ai rempli un document de plus chaque année !

J'aimerais que l'on s'attelle à simplifier la vie publique est professionnelle. Il y a eu de belles idées, notamment dans la création de statuts simplifiés, auto-entrepreneur, SAS, SASU. Il faudrait aller plus loin pour que les rouages de la vie économiques ne soient plus grippés par les contraintes administratives trop lourdes.

Cette Experte-Comptable est lucide également en ce qui concerne la fin de la crise et le grand nombre de femmes et d'hommes qui vont se retrouver à cesser leurs activités professionnelles.

Et, même si la crise économique me touche et touche des millions de mes concitoyens, je n'oublie pas que nous approchons des 100 000 victimes. Mes pensées vont donc naturellement vers les familles touchées.