AGRICULTURE, France, terre d'avenir ?

01/02/2021

Voilà là une rencontre qui montre bien le fossé entre la France rurale et la France urbaine. Pourtant, quand je prends la route pour rencontrer mes concitoyens, je ne m'imagine pas une frontière entre ces deux mondes, différents certes, mais tellement complémentaires. En échangeant avec un agriculteur j'ai vu l'ampleur du fossé.

Frédéric est éleveur bovin dans l'Allier. Trentenaire qui a repris la ferme familiale avec l'envie de la développer, il se pose la question sur son avenir, celui de son exploitation.

Frédéric : Quand je rencontre un citadin je reste toujours méfiant car je ne sais jamais quel est son degré de connaissance du monde rural. C'est sûrement un mauvais réflexe, mais je crois que bon nombre de mes collègues ressentent la même chose. Nous vivons, vu de Paris, Lyon, Marseille et des autres grandes villes, une vie idéalisée, fantasmée, une vie faite de nature, au mieux, ou une vie de pollueurs, tueurs d'animaux, au pire. Nous supportons cela, nous supportons les insultes quand nous sommes sur le tracteur, nous supportons ces reportages qui parlent trop souvent d'agriculture industrielle et rarement des petits exploitants comme moi.

Nous nourrissons la France, nous faisons en sorte que nos bêtes soient bien traitées, qu'elles vivent en extérieur une grande partie de l'année. Nous entretenons les haies, les prés, les abords des routes. Nous sommes des acteurs de notre territoire. 

Et pourtant nous vivons difficilement de notre métier. Comment expliquer que le kilo de viande nous est acheté entre trois et quatre euros, tandis qu'à l'étal du boucher ou dans les grandes surfaces, le prix est surmultiplié ? Je pense que l'on peut nous aider à gagner mieux notre vie sans pour autant augmenter les tarifs de la viande. Les consommateurs n'ont pas à payer plus.

Nous travaillons sans relâche, 7 jours sur 7. Nous prenons au maximum deux semaines de vacances. Et nous sommes réduits à remplir des dossiers pour des subventions alors que nous désirons simplement vivre de notre métier. Alors, aujourd'hui, je peux vous annoncer que je ne sais pas encore si je vais pouvoir continuer et pourtant, cette ferme appartient à ma famille depuis 4 générations et cesser cette activité serait terrible pour moi.

Badred'hine Bouacha : Vous êtes jeune, vous connaissez votre métier du bout des doigts, vous êtes reconnu pour votre sérieux et pourtant vous doutez pour votre avenir.

Frédéric : Hélas, j'ai peur de dépasser prochainement le stade du doute. Trois sécheresses successives, la crise sanitaire pendant laquelle on a encore vu les prix s'effondrer, l'agribashing permanent, tout cela est difficile à vivre.

Badred'hine Bouacha : Quelles solutions, quelles petites ou grandes idées pourraient vous voir changer d'avenir ? 

Frédéric : Je crois beaucoup en nos valeurs et nos traditions. Je pense donc qu'il nous manque des hommes d'état qui connaissent notre quotidien. Je voudrais des personnes qui parlent d'agriculture autrement qu'en temps de crise. Notre quotidien a de la valeur. Il faut que les pouvoirs publics nous intègrent dans leur politique de gestion du pays, il faut que l'on défende, par exemple, le tourisme rural, il faut mettre la pression sur les grandes surfaces pour les obliger à se servir de plus en plus localement. Cela ne doit pas être uniquement venir d'associations militantes, mais d'un Etat tout simplement bienveillant avec ses agriculteurs.

Nous sommes la France, nous ne sommes pas uniquement des fichiers dans la politique agricole européenne. Je demande à nos dirigeants d'être fiers de leurs terroirs, fiers de dire que la France est une terre agricole. C'est assez étonnant que dans un pays qui honore l'art de bien manger, l'art de la gastronomie, on ne tisse plus de lien avec nous, pourtant nous sommes à la base de notre belle cuisine.

Nous nourrissons la France, nous faisons en sorte que nos bêtes soient bien traitées, qu'elles vivent en extérieur une grande partie de l'année. Nous entretenons les haies, les prés, les abords des routes. Nous sommes des acteurs de notre territoire.

Frédéric m'assure que tous les éleveurs qu'il connaît auraient le même discours, il s'excuse même de "rabâcher" ces propos.  

Je pense que, par exemple, on pourrait demander aux grandes et moyennes surfaces de mettre en place des "villages d'agriculture locale" avec des étals moins anecdotiques.  Quant à la politique des tarifs, il est évident qu'à l'instar des pécheurs, le fossé entre le prix d'achat de la matière première et le prix de vente en magasin mérite d'être réduit sans penser pour autant en termes de nouvelles subventions mais en termes de valorisation tarifaire. Les acteurs de la grande distribution ont une belle carte à jouer dans le renouveau du monde agricole. Je présenterai des mesures possibles pour que ce virage soit bien négocié.

Oui, la France a un avenir agricole. J'en suis profondément certain.

Un grand merci à cet éleveur pour son accueil et notre long échange.